Notre test de Road 96, le road trip vers la liberté
Une narration à la française.
Présenté lors des Game Awards 2020, Road 96 est le nouveau projet du français Yoan Fanise (Lost in Harmony, 11-11 Memories Retold) qui continue avec le studio DigixArt à raconter des histoires. Cette fois-ci, place à un road trip procédural dans un pays fictif pour retracer l’histoire d’enfants qui cherchent à fuir la tyrannie du pays.
Ce test de Road 96 a été réalisé sur PC à l’aide d’une version fournie par l’éditeur.
La seule porte de sortie de Petria, se situe au niveau de la Road 96, tout au Nord, et c’est là que toutes les routes convergent. Car la situation dans le pays où se déroule le jeu est plus que tendue. D’un coté un président tyran au pouvoir – il s’appelle Tyrak, n’est présenté qu’à travers des images de propagande, la place au doute est minime. De l’autre un groupe d’activistes des Brigades – terroristes pour les uns, héros pour les autres. Au milieu de tout ça, la jeunesse du pays espère désespérément survivre et s’offrir un futur hors de ses terres. Sauf que tous les adolescents fugueurs finissent par disparaître et être envoyés dans un camp de redressement de Tyrak.
C’est dans cette ambiance électrique que vous incarnerez tour à tour les adolescents qui vont tenter de quitter Petria. Leur aventure prend fin quand ils parviennent à franchir la frontière, ou s’ils se font arrêter, ou pire tuer, sur leur trajet. Une petite promenade de santé donc. Et pour couronner le tout, les élections approchent. Au fil du jeu, certaines de vos décisions auront un impact. Qu’il soit révolutionnaire, progressiste, ou abstentionniste. Vos choix impacteront la fin du titre et le sort du pays, même s’ils seront toujours accueillis de la même manière par les autres personnages. Un vague dialogue pas convaincu, qui ne prend pas parti.
Procédural mais pas trop
Road 96 est vendu comme un road trip procédural, et cette idée que chaque choix va marquer votre progression. En prenant cela à la lettre, on peut s’attendre à une trame narrative folle et une rejouabilité immense, à tort. Car le titre de DigixArt n’est pas procédural comme vous l’entendez. La progression de chaque adolescent est divisée en scènes d’une dizaine de minutes chacune, qui sont interchangeables dans leur agencement. Leur horaire dans la journée peut varier, et certaines situations évolueront en fonction de vos précédentes expériences. Cependant, vous aurez toujours les mêmes scènes, les mêmes personnages impliqués, et, souvent, les mêmes dénouements.
Mais une fois que l’on se débarrasse de ses attentes à ce niveau, on peut en revanche profiter du titre pour ce qu’il est. Une aventure narrative, inédite dans sa construction, et qui parvient à construire une histoire à travers ses différentes scènes. Des instantanés qui varieront dans leur gameplay, passant de discussions intenses à des courses poursuites ou divers mini jeux. Le tout est globalement réussi, même si parfois les enchaînements sont étrangement rythmés.
Une fausse liberté
Car ici, il n’est pas question de profiter de l’aspect contemplatif du road trip. Et ce malgré la direction artistique soignée. Pas le temps de trainer, il faut atteindre la frontière. Entre chaque scène, vous avez le choix pour progresser d’avancer à pied, de faire du stop, voler une voiture, appeler un taxi ou prendre le bus. Donnant une opportunité différente pour la scène suivante, et influençant à leur manière votre barre d’endurance. Si elle tombe à zéro, votre personnage s’effondre, exténué, et se fera arrêter par la police.
De toutes façons, vous n’avez rien à faire d’autre que d’avancer. Chaque zone est limitée par la route sur le côté, et vous n’aurez que très peu de place pour explorer. On regrettera ainsi de ne pas avoir un ou deux environnement plus large, pour se perdre dans le désert omniprésent. Ne cherchez pas non plus une horde de secrets bien gardés. Quelques cassettes, qui agrémenteront votre voyage de musique, sont disséminées à certains endroits clés, mais elles ne sont jamais bien loin. Une porte cachée, un rocher un peu suspect, et vous tomberez directement sur un meuble à tiroir avec tout ce que la zone a à vous offrir.
Fort heureusement pour vous, le cœur du gameplay n’est pas là. Ce sont toutes vos interactions, qui vous poursuivront, même lors de vos essais suivants. Ainsi, les compétences que vous débloquerez au fil de vos aventures avec les personnages récurrents seront présentes pour toutes les tentatives suivantes. Et ce, même en new game plus. Ce qui ira tout de même limiter l’intérêt du mode, qui ne servira qu’à débloquer les dialogues qui vous auraient échappé lors de votre première partie. D’autant plus que le nombre de scènes étant limité, vous retomberez rapidement sur du déjà-vu, bien loin des inédits.
Les rencontres forment la jeunesse
Mais vous disposerez tout de même de sept personnages récurrents, que vous croiserez à chaque tentative de fugue. Les dialogues vous en apprendront un peu plus sur leur histoire, et les liens qui les unit. Leur parcours est souvent touchant, même si leur caractère tombe rapidement dans le cliché. En revanche, ils termineront systématiquement leur scène par une séquence pataude, vous demandant si vous avez une question en plus à leur poser.
Ce sera alors l’occasion d’en apprendre un peu plus sur leur vision du pays, ou faire un choix pour avancer l’arc révolutionnaire, modéré ou abstentionniste. Un peu dommage tant les conclusions de dialogue sont aux antipodes du reste des échanges.
Les personnages bénéficient aussi du bon travail de doublage, uniquement en anglais. Ce qui n’est pas le cas de leurs animations, souvent grossières, et parfois assez dérangeantes, surtout vers la fin du jeu. Elles n’ont jamais réussi à nous sortir de l’ambiance, mais ont frôlé la faute à plusieurs reprises.
Cela n’enlève rien au talent d’écriture global, qui parvient parfaitement à relier chaque scène et chaque personnage. Ainsi, et sans avoir à vous infliger une horde de documents ou vidéo à analyser, vous avancerez rapidement dans l’histoire. Avec souvent des clins d’œil pour vous rappeler vos tentatives précédentes de fuite, réussies ou non.
Et maintenant un interlude par notre sponsor
Difficile de faire des louanges à Road 96 sans aborder ce qui représente probablement l’un de ses pires passages. L’une des scènettes vous embarque avec ce camionneur au grand cœur, qui a désespérément besoin d’une boisson énergisante pour rester éveillé et continuer à rouler.
Et ça tombe bien, car il connaît une recette miracle. Une boisson qui, comble du hasard, a le même nom que l’un des sponsors du jeu. Alors il ne va pas être question ici de jouer les effarouchés devant une publicité à même un jeu. Des années à subir les panneaux publicitaires dans les FIFA ou autres Football Manager, ou voir une avalanche de marque dans Death’s Stranding sont passées par là.
Mais là, un palier a été franchi. Entendre le nom de la marque répété en boucle pendant 5 minutes par ce personnage qui hurle qu’on lui apporte la seule chose qui peut le sauver, comme pour bien enfoncer le nom de la marque, n’était clairement pas nécessaire. D’autant plus que l’on aurait certainement pas sourcillé si la marque était seulement devenue le sponsor de la compétence débloquée par la suite, qui ne vient plus jamais polluer votre espace.
Road 96 réussit ainsi à créer un univers cohérent, prenant, et dans lequel vous aurez envie d’avancer. De sauver les adolescents tout en permettant aux personnages rencontrés d’atteindre leurs buts. Un univers parfois pas très subtil, coincé dans cette satire à peine cachée de l’Amérique moderne. Entre désinformation via Fox News et références lourdes au culte de la personnalité trumpienne, le message passe, mais sans finesse. Une étape obligatoire quant au message que veut faire passer le jeu, mais qui aurait pu être mieux abordée.
Jarod bien loin du Centre
Le titre a même l’intelligence de vous forcer à varier les chemins une fois la frontière atteinte. Pas question d’utiliser deux fois de suite la même technique pour quitter le pays. De toutes façons, il y a d’autres choses à découvrir sur le chemin d’à côté.
Seul un personnage échappe à la qualité de l’ensemble. Jarod, ce gentil chauffeur de taxi qui cache en réalité un psychopathe prêt à tout pour obtenir sa vengeance. Il amène avec lui son lot de scènes se voulant horrifiques, mais qui peinent à faire mouche. Jongler entre humour et horreur n’est pas donné à tout le monde, et il n’y parvient pas. Ces séquences sont néanmoins limitées, et ne viennent pas gâcher l’ambiance du jeu.
L’autre reproche majeur qui pourrait être fait réside dans la génération des parcours de vos fugueurs. Vous pourrez être malchanceux et terminer les intrigues de trop de personnages secondaires avant vos dernières tentatives – elles sont au nombre de huit. Vous donnant donc des derniers runs assez vides, avec très peu de rencontres et vous sortant un peu de l’histoire alors que celle-ci devrait justement s’emballer. Et quand la fin arrive, vous serez ainsi pris de court, devant un scénario qui vous avait oublié dans un coin de la pièce et semble lutter pour recoller les morceaux et vous inclure dedans.
Le bilan du test
Un jeu narratif solide et agréable
Road 96 est une très bonne surprise, pour peu que l’on ne s’attarde pas sur sa définition du procédural. Car au-delà des quelques défauts techniques, de l’illusion de choix et des rares dialogues ratés, on tombe rapidement dans un univers prenant. Une histoire comptée habilement par DigixArt, dans un enchaînement de situations qui donnent toujours envie de voir la suivante. Même si l’on aurait aimé un terrain de jeu un peu plus grand et ouvert. Pour la prochaine fois peut-être ?
Les points forts
- Une structure narrative étonnante et efficace
- Le mélange des histoires des différents personnages
- Les petits clins d’œil entre les différentes tentatives
- Une ambiance réussie, que ce soit visuelle ou sonore
- Un juste mélange entre sérieux et humour quand il le faut
- Un titre qui n’a pas peur d’être politique et de parler de sujets de sociétés
Les points faibles
- Quelques passages forcés et ratés
- Des animations extrêmement rigides
- Une zone de jeu souvent trop petite, qui empêche ce sentiment d’évasion du road trip
- L’illusion des choix, qui n’influencent réellement que la fin du jeu