Un passionné de dessin au service de l’univers d’Ankama : l’interview d’Ancestral Z
« J’ai fait du dessin tout petit et j’ai encore envie d’en faire maintenant. Des fois malheureusement, j’ai pas de grandes aventures à raconter, mais je suis très heureux. Et il s’est passé beaucoup de choses quand même ! »
Si vous lui demandez comment il s’est retrouvé à son poste, Ancestral Z vous dira qu’il a juste eu de la chance. Lors de notre visite dans les locaux d’Ankama Games pour la Krosmonote, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec le dessinateur du manga Dofus. Un parcours unique pour un personnage qui l’est tout autant.
Un jeune belge passionné de dessin
Grand amateur de dessin depuis son plus jeune âge, Vincent Deruyck, plus connu sous le pseudo Ancestral Z, a commencé ses études dans ce domaine dès l’âge de 12 ans. C’est à l’Institut Saint-Luc, école d’art réputée située à Tournai en Belgique (ou plus précisément à Froyennes), qu’il étudiera toute son adolescence. Il y apprend une forme de dessin qu’il qualifiera de « classique » : du dessin d’observation. Un parcours bien plus pratique que théorique, ce qui n’avait rien pour déplaire.
Un premier pas dans ce monde professionnelle qui lui a permis de vaincre sa timidité. Parfois trop réservé dans son enfance, ce fût l’occasion pour lui de s’ouvrir à un autre univers, bien plus artistique. Après son CESS (équivalent français du Bac), il tente de continuer en supérieur dans la branche Graphisme. Un cursus fort orienté vers « de la publicité ». Bien qu’on puisse trouver un certain plaisir à la formulation de slogans et autres, Ancestral Z fait alors le choix de se tourner vers une autre institution de l’enseignement artistique : l’Académie des Beaux-Arts de Tournai. Mais cette fois-ci, en bande dessinée. L’occasion de redécouvrir des références de la BD franco-belge comme Trondheim ou Blain, bien loin du style manga qu’il chérissait depuis son enfance.
D’un stage d’étude au travail d’une vie
Après avoir pris des cours pendant 4 ans avec des dessinateurs comme Antonio Cossu ou Thierry Umbreit, arrive la dernière année et donc le stage de fin d’études. C’est par l’intermédiaire de Mathieu Trabut qu’Ancestral Z fait la rencontre de celui qui n’est plus a présenté aujourd’hui : Tot, le directeur historique d’Ankama.
Une rencontre idoine qui changera toute la donne. À l’époque, l’internet grand public n’était encore qu’à ses débuts. Et comme bien d’autres, Vincent Deruyck a découvert l’entreprise dans laquelle il allait réaliser son stage au moment d’arriver sur place. Persuadé d’y trouver un univers sombre, ce sont finalement 2 semaines à travailler sur un monde fun et coloré qui l’attendent. Suite à quoi Tot lui propose de continuer l’aventure, même si il lui faudra pour ça attendre quelques semaines que les projets avancent. Et en particulier, celui d’une Bande Dessinée Dofus.
Entre absurde et chaos, l’interview complète
Quelles ont été tes créations au sein d’Ankama, ou même avant ?
« Durant ma dernière étude, j’ai fait un truc qui s’appelait Radio des sources, c’est-à-dire RdS. C’était purement un truc que je faisais avec un ami en audio. On enregistrait des cassettes audio et on mettait de la musique MonkeyIsland dessus. Et on délirait sur des personnages et tout. Ensuite j’ai voulu en faire une BD. Et je me dis que ça, c’est toujours resté dans un coin de ma tête. En me disant que, même si c’était resté ma BD de fin d’étude, ça me tient tellement à cœur qu’un jour ou l’autre elle ressortira de mes cartons.
Et sinon, j’avais commencé à proposer une BD avec une pirate qui s’appelait Belinda pour essayer de démarcher les éditeurs avant de croiser Ankama. Mais entre temps voilà, je suis arrivé chez Ankama. Pour démarrer, Tot m’a dit « Est-ce que tu voudrais, à la fin du stage, faire une bande dessinée tirée de l’univers du jeu ? », que je venais de découvrir et que je trouvais formidable parce que c’était coloré, fun, et humoristique. Et c’était proche du genre d’univers que j’aimais énormément. Donc voilà, ça a démarré comme ça pour Dofus.
Le manga Dofus, j’ai eu la chance de m’y mettre à plein temps. Parce qu’au début je devais peut-être participer à la création de la bande dessinée Dofus mais avec Arnaud et Xavier qui sont des vétérans d’Ankama, mais aussi Tot et Kuri. À l’époque, il y avait déjà Arty qui était créé en tant que berger, donc il y avait déjà quelques petites recherches comme ça. Mais vu qu’ils avaient le jeu et qu’il prenait énormément de temps pour eux à un moment ils m’ont dit « Nous on a déjà quand même beaucoup de choses à faire sur le jeu, est ce que tu voudrais reprendre complètement la BD ? ».
On a essayé de démarcher les éditeurs avec Tot. Pour X raisons, ça n’a pas été plus loin. Et entre temps Tot a dit « Bah vu qu’on va faire l’Artbook de Dofus, bah let’s go ! On va aussi en profiter pour faire le manga ». Enfin, la bande dessinée. Alors c’est pareil, comme je disais tout à l’heure, je suis fan de manga. On avait pas choisi le format, ça aurait pu être du franco-belge et tout ça mais je suis très heureux que pour finir ça ait bougé vers du manga. J’aime bien le noir et blanc, j’aime bien le format, j’aime bien pleins de choses autour de ce format là. C’est beaucoup plus facile d’ajouter des petites digressions amusantes sur du 180 pages (plus ou moins) que du 46 pages où chaque page a vraiment une très très grande importance.
Plus tard, avec Mojojojo avec qui j’ai fait une dernière année d’études pour pouvoir enseigner, on a eu l’idée d’un univers Heroic Fantasy, mais qui partait dans tous les sens. Et en fait on a créé ensemble Chaosland (le titre est un peu évocateur sur le contenu du livre). On faisait ça sur un délire. Et après vu que la maison d’édition d’Ankama se mettait en place, on s’est dit qu’on allait peut-être pouvoir le proposer à Tot au passage. Et voilà, il trouvait ça rigolo, il a bien voulu nous éditer sur notre projet personnel. Ensuite avec Mojojojo on a pu continuer bien plus tard Paloma. C’est une BD avec une espionne dans les années 70. J’adorais tout ce qui était espionne. C’était un peu nos derniers projets pendant qu’en parallèle le manga Dofus avançait. »
Est ce que tu joues à Dofus ou à un autre jeu d’Ankama en dehors du travail ?
« On m’a souvent posé la question « Est ce que tu joues à Dofus ? ». Et souvent, je disais non, mais c’était plus une question de temps. Mais par contre, comme je dis toujours, j’adore l’univers. Et adolescent, je n’ai fait que jouer énormément et bien trop aux jeux vidéos. Les étés, on dit souvent « Il faut sortir dehors » et moi je passais mon temps à être vraiment fan de jeux vidéos et tout ça. Donc, si Dofus avait existé à l’époque de mon adolescence, oui, c’est certain que j’aurais été dessus. Je l’espère en tout cas, parce que c’est pareil, c’est toujours une question de rencontre avec un jeu. Connaissant l’univers et ce que j’appréciais, il y a de fortes chances que j’aurais plongé dans Dofus.
Ma classe préférée c’est Sram. Les Sram ou les Sramettes ! Même si les Roublard, ils m’ont donné envie aussi quand je les ai vu arriver. Ce que j’aime bien en tout cas, j’avais l’impression que dans Dofus, je sais que j’aurais pu y jouer aussi ne serait-ce-que pour me promener. J’entends souvent les gens dire « Ah bah moi, je fais moins de combats, mais je fais plus un métier » et je pense que j’aurais été plus dans ce principe là. J’aurais fait des combats pour le plaisir d’augmenter de niveau, mais ça aurait été un peu plus ce côté je me promène dans un univers ouvert et très coloré. »
Est ce que tu es limité par le côté transmédia d’Ankama ? Ou au contraire, est ce que ça te permet de rencontrer d’autres univers ?
« En fait, ce que j’aimais bien avec Dofus, c’est que c’est pas complètement scripté comme un jeu solo. C’était beaucoup plus facile d’en faire une adaptation transmédia en bande dessinée. Parce qu’en fait, on reprend surtout l’univers graphique en lui-même. Les classes de personnages, le bestiaire, les choses qui vont s’articuler autour. Tot, lui, il a l’histoire. Et au scénario, quand il écrit, il a ses périodes.
Par exemple, Vampyro. Ça en devenait les thématiques même des conventions de l’époque. Tot a eu sa période Vampyro. Il imaginait Vampyro dans WAKFU, il s’est dit bah tient. D’une certaine manière, il avait envie de raconter aussi des choses qui ressemblent à Vampyro dans le manga Dofus parce qu’il est scénariste sur le manga. Donc par la force des choses, on va dire que c’est Tot qui est le grand garant de ce transmédia. Même si nous on était souvent en retard dans le manga, par la force des choses (rires).
Moi, en tant que dessinateur, j’ai repris beaucoup le bestiaire, les classes de personnages. Il y a eu des périodes comme Maskemane, les Zobals qui sont arrivés aussi. Les Zobals par exemple ont tenu 3 ou 4 tomes. Nous ça nous faisait déjà plusieurs années alors que d’une certaine manière, dans le jeu, les mises à jours étaient déjà parties sur d’autres univers. Le côté positif c’est que je trouve ça bien que ça reste du transmédia. On sent que ça vient souvent d’une envie personnelle d’étendre l’univers et donc de le relier ensemble mais pas par obligation. C’est peut-être la différence…
Ce qui est cool, c’est que les persos sont apparus dans un média, on eu le temps d’exister par eux-mêmes, pour ensuite pour X raison donner l’impression qu’ils pouvaient basculer dans un autre média parce qu’ils étaient devenus assez importants. Parce qu’on les aimait bien, que Tot les aimait bien. Que pour finir il y a quelque chose derrière qui fait que je pense qu’on sent quand même que les persos qui sont aimés et qui ont eu le droit à une bonne écriture sont aimés aussi par la communauté.
J’ai rien contre d’autres univers, mais des fois on sent qu’il faut les articuler par obligation. Par exemple, je suis un fan de Star Wars, et j’ai toujours un peu peur qu’ils mettent un personnage dans une autre série juste pour dire « Regardez, vous l’avez vu dans un autre média, et bah vous le verrez là ». Pour moi, ça n’a jamais été un problème, je ne me suis jamais senti obligé de faire du transmédia. C’est plutôt une sorte de plaisir partagé entre univers. Il y a des choses qui apparaissent d’un média à l’autre. Et d’autres qui au contraire resteront sur le manga Dofus.
Je sais que je trouve ça marrant parce que, quand on crée un personnage de Bande Dessinée, même si c’est nous qui créons le personnage, on ne le connaît pas tout à fait en fait. C’est seulement quand on le met en application dans une bande dessinée, on le fait vivre à travers une histoire, qu’on va commencer à le connaître vraiment bien. Et à partir de là, je pense que, comme toute rencontre, il y a des amitiés qui iront plus loin que d’autres sans forcer. Et si à un moment, on sent qu’on n’a plus rien à dire sur un personnage, il vaut mieux le laisser. Plutôt qu’avoir une sorte de cahier des charges qui dirait bah maintenant, lui, il est obligé. Je pense que dans ce cas là, c’est plus fluide et ça passe mieux. »
« J’ai rien contre d’autres univers, mais des fois on sent qu’il faut les articuler par obligation. Par exemple, je suis un fan de Star Wars, et j’ai toujours un peu peur qu’ils mettent un personnage dans une autre série juste pour dire « Regardez, vous l’avez vu dans un autre média, et bah vous le verrez là ».»
Dans la série WAKFU, on voit une thématique qui revient, celle de la famille. Et toi, quelle est ta thématique ?
« C’est intéressant, parce qu’on ne m’a jamais posé la question. Je pense que c’est bien d’avoir un petit thème qui traverse l’esprit. Il faut toujours donner une partie de soi-même, et je pense que c’est notre vision du monde pour le coup. C’est un peu notre perception sur beaucoup de choses autour du monde. Donc le tout c’est de réussir à canaliser peut-être ce que tu veux dire dans un récit. Si tu veux dire trop de choses à la fois, ça va peut-être être compliqué.
Mais c’est vrai que j’aurais du mal à dire vraiment le thème que je vais aborder. C’est vrai qu’en général il y a toujours des thèmes réguliers sur chaque auteur qui vont être récurrents. Et qui vont montrer qu’on a une sorte de… je ne vais pas dire le mot névrose, ça serait quand même inquiétant. Mais il y a quelque chose qui nous tient à cœur. Moi j’ai beaucoup de choses qui me marquent. Ça peut être lié au temps qui pense, ça peut être lié à plein de choses. Mais c’est vrai que quand je commence à définir un thème, moi j’aime bien que ça soit bordélique. J’aime bien aussi d’une certaine manière le non sens.
J’aime bien ce côté un peu chaotique de dire que c’est peut-être l’incompréhension. Si je devais retenir un truc, c’est l’incompréhension entre les êtres humains qui me passionne le plus. C’est une ressource de comédie formidable. Je trouve qu’on est souvent, chez les artistes, on te dit « Bah lui il est dans sa bulle, il est complètement déconnecté du monde ». Mais moi j’ai quand même l’impression que tout le monde est un peu déconnecté du monde. Et que souvent, tout le monde pense être complètement en raccord avec le monde qui nous entoure. Mais des fois je me dis qu’en fait on est chacun un peu dans notre délire. Et c’est ça que je trouve intéressant. C’est de croiser le fait que chaque personne a son univers et ces univers qui s’entrecroisent créent des choses un peu étranges. Des scènes comiques, ou alors malheureusement l’inverse, des drames. »
Un mot de la fin ?
Ce qui m’attriste un peu, c’est toujours ce côté. Je me dis qu’il y a tous ces trucs incroyables que tout le monde fait et des fois, ça en devient dur à suivre. Ce qui nous sauve, c’est faire régulièrement les choses, pour qu’à force les gens aient le temps de voir que tu existes et que tu produis. Une fois que tu as découvert quelqu’un, tu peux te dire que tu aimes son travail.
« Une fois que tu as découvert quelqu’un, tu peux te dire que tu aimes son travail. »
Vincent « Ancestral Z » Deruyck